Que se passe-t-il à Jérusalem et plus largement en Israël / Palestine ? Comment en parler ?
11 mai 2021
[thread] Que se passe-t-il à Jérusalem et plus largement en Israël / Palestine ? Comment en parler ?
Quelques éléments de réponse issus de longues enquêtes de terrain et d'échanges récents.
🙏 à celles et ceux qui ont pris le temps de me parler et qui me liront
🔴D'où ces violences sont parties ? De la dépossession organisée des propriétés palestiniennes.
L'hiver dernier, plusieurs familles palestiniennes de Jérusalem-Est ont reçu l'ordre de cours israéliennes de quitter /perdre leurs habitations. Cette guerre par le droit menée par
des organisations de colons depuis des années vise à chasser les Palestiniens de Jérusalem. Israël a occupé en 1967 puis annexé en 1980 cette partie de la ville que le droit international reconnaît comme palestinienne. Ses habitants sont maintenus apatrides. 14,000+ ont perdu
leur résidence. Les autres sont coincés entre le Mur, des colonies, entravés dans leurs déplacements, leur accès à l'embauche, leurs vies sociales et politiques. Soit l'organisation de la domination d'un groupe ethnique sur un autre.
On a donc un appareil juridique qui confirme
la dépossession sur une base ethnique, soutenu par des manifestations de suprémacistes juifs hurlant “mort aux Arabes” à Jérusalem, depuis des semaines.
Cette politique s'accompagne d'innombrables exactions contre les civils palestiniens.
📚 Point déf. Je dis “Palestiniens de Jérusalem / d'Israël” comme on dit Palestiniens de Gaza / du Liban / de Jordanie. Les autorités israéliennes et sa large population parlent d' “Arabes”, pour leur nier tout caractère national.
l'Arabe, l'indigène, c'est l'autre,
pas encore entré dans le siècle de la politique contemporaine.
Pas de nation, pas d'État, en somme. Libre à eux d'assumer leur racisme, je me contente de reprendre la façon dont ceux dont je parle se définissent, en accord avec leurs droits reconnus (même si bafoués).
Reprenons. Il y'a une situation d'apartheid organisée depuis des décennies à Jérusalem, avec la radicalisation d'une société suprémaciste.
Rien d'étonnant à ce qu'elle engendre de la violence. Essayons juste de comprendre pourquoi maintenant, et vers où cela mène.
➡️ La capacité de mobilisation des colons à Jérusalem est de plus en plus forte. Manifs en quartiers palestiniens, harcèlements, attaques se font avec le soutien de nombreux représentants politiques israéliens qui se déplacent à leurs côtés.
On les a vu chanter “que leur nom disparaisse” devant le mur des Lamentations, surplombé par l'esplanade des mosquées durant une marche commémorant la conquête de la ville (et la destruction d'un quartier palestinien entier).
L'impunité dont ils bénéficient est effrayante.
➡️À ces suprémacistes ayant le vent en poupe s'ajoute une classe politique israélienne incapable de former un gouvernement depuis deux ans. Vendredi dernier le président Rivlin a confié cette tâche à Yair Lapid.
Netanyahu, qui risque de perdre son poste et son immunité
(il est poursuivi pour corruption) s'agite pour faire échouer son concurrent. Faire monter les tensions avec les Palestiniens est une ruse à laquelle il recourt souvent, quand il est acculé.
Lâchant l'armée et la police durant les dernières nuits de Ramadan sur l'Esplanade,
ce qui a provoqué des centaines de blessés Palestiniens en quelques jours. Ils viennent s'ajouter à ceux causés par les provocations de colons depuis des semaines, à la violence verbale, aux appels à la haine raciale banalisés et au harcèlements de civils.
➡️ la politique institutionnelle palestinienne vit une crise (de plus) depuis quelques jours. Les élections législatives, premières en 15 ans, qui devaient se tenir en mai 2021 ont été annulées par un pouvoir recroquevillé sur ses peurs et son appareil sécuritaire.
Refusant de gérer l'alternance politique, la critique et les demandes sociales de son peuple, l'Autorité palestinienne est un régime à bout de souffle, tout juste bon à camper l'État Potemkine que la communauté internationale espère voir naître en Palestine.
Incapable de parler, encore moins de protéger, les Palestiniens de Jérusalem, elle apparait au mieux dépassé, plus probablement inutile. La vie politique palestinienne se fait de plus en plus à côté, si ce n'est contre elle
➡️Dans ce contexte, le Hamas qui domine Gaza peut légitimement clamer être la seule grande force palestinienne qui s'oppose à Israël, quand des Palestiniens sont directement visés.
C'est ce qui l'a conduit à lancer des roquettes sur le territoire israélien, sans faire de morts
car elles sont souvent vides de charges explosives pour voler plus loin. La réaction israélienne (cf. le besoin de Netanyahu de jouer les hommes forts) :
- Mobilisation générale
- Pluie de missiles, 24+ civils tués, dont des enfants
- Annonce d'une campagne militaire
Gaza, véritable prison pour ses 2 millions d'habitants, vit une nouvelle fois sous le feu israélien, en plus de subir un blocus qui a généré l'une des plus gaves crises humanitaires hors catastrophe naturelle.
La violence du blocus est elle quotidienne, renouvelée et assumée.
➡️ La “communauté internationale” :
🇪🇺 une Europe incapable de défendre ses propres principes, pour ne pas s'allier ses membres d'extrême droite les plus pro-israéliens.
🇺🇸 L'administration Biden ne veut pas froisser son allié israélien, lui assurant une impunité de fait.
🇸🇦 Les pays arabes s'en tiennent au minimum syndical,
où les nouveaux alliés d'Israël sont de plus en plus nombreux.
Notons que les pays arabes connaissant la plus grande liberté d'expression (Bahreïn, Tunisie) sont ceux où les manifs pour la Palestine sont les plus visibles.
⚡️Tentons de résumer :
1⃣ Le 'statu quo' depuis près de trois décennies c'est une cohabitation qui n'est que la domination d'un groupe ethnique sur un autre, soutenu par le seul pouvoir souverain autorisé, Israël. Il engendre les violences que l'on voit ces jours-ci
2⃣ La classe politique palestinienne regarde impuissante sa société se faire écraser à sheikh Jarrah, Silwan, Umm al-fahm, Haïfa, Gaza, Jénine, etc.
À ses côtés fleurissent des mobilisations qui dessinent la Palestine de demain : refusant la fragmentation et la division
3⃣ Israël a durablement prit le chemin du suprémacisme. Au racisme d'État s'ajoute une violence émanant de sa société, qui ne se limite plus à la volonté de voir ses colonies reconnues, mais chasse des “Arabes” de chez eux ou en pleine rue.
4⃣ Ce qui meurt sous nos yeux ce n'est pas le processus de paix, qui n'a jamais été, mais l'illusion d'un statu quo. Les soubresauts de plus en plus réguliers de ces violences portent les germes d'un changement plus profond pour l'espace Israël / Palestine.
5⃣ La dépossession n'est pas un phénomène nouveau, il est intimement lié à la création d'Israël et au projet sioniste. Ce qui se passe en 2021 revêt des formes différentes, mais poursuit un projet vieux d'un siècle.
6⃣ En Israël / Palestine une situation d'apartheid se fait de plus en plus visible et assumée. Les séries de violence qui font les gros titres ne sont que l'écume d'une réalité bien plus cruelle : une minorité ethnique est quotidiennement oppressée.
7⃣ Il n'y a pas de “conflit israélo-palestinien”. Il y a une question politique : quoi faire devant le suprémacisme, le racisme, la violence d'État.
w/@Noria_Research , @NoriaMena
Erratum, il y avait deux morts israéliens hier au moment de ce fil, cinq ce matin.